Les semaines s’écoulèrent dans la capitale, et Mero retrouva peu à peu sa concentration, un fil fragile qu’il avait cru perdu sous le poids de ses pensées tumultueuses. L’hiver relachait son emprise sur l’école Impériale de Mor, la neige fondant en ruisseaux timides qui révélaient la pierre usée et la terre humide sous un ciel hésitant. Le printemps approchait, une brise tiède glissant par les fenêtres entrouvertes de sa chambre, portant une odeur de bourgeons naissants et d’herbes fra?ches. Un matin, alors qu’il annotait un manuel de commerce maritime sous la lumière douce filtrant par sa fenêtre, un serviteur frappa à sa porte, une lettre cachetée dans les mains. Le sceau rouge, marqué d’un bateau stylisé, fit bondir son c?ur – c’était la missive qu’il attendait depuis des mois, le premier fruit de son entreprise d’épices.
Ses doigts tremblèrent en brisant la cire, et il déplia le parchemin avec une hate contenue, les mots dansant sous ses yeux comme des vagues agitées. Les épices de Sel, offertes gratuitement par son père pour lancer son commerce, avaient atteint la capitale et s’étaient vendues à un prix exorbitant – un profit trente fois supérieur à son investissement initial. Il relut les lignes, un apaisement profond l’enveloppant comme une marée calme après un orage. Ce n’était pas seulement une victoire financière ; c’était une preuve tangible, un écho de la confiance de son père, un pas vers l’indépendance qu’il avait toujours poursuivie dans l’ombre de son rang.
Flashback : il revit les quais de Sel, la lumière dorée du couchant baignant les entrep?ts où son père l’avait conduit. Les sacs d’épices – safran aux teintes de feu, cannelle au parfum chaud – s’entassaient sous les mains calleuses des porteurs. ? Prends-les, Mero, avait dit son père, sa voix grave teintée de fierté, une main ferme sur son épaule. Ce sont les richesses de Sel. Montre-leur ce que notre royaume peut faire. ? Ce don, un trésor récolté dans les champs c?tiers battus par les vents, n’était pas un simple geste ; c’était un défi, une graine jetée dans le sable, et Mero l’avait saisie avec une détermination qu’il découvrait en lui-même. Maintenant, dans cette chambre loin des vagues, cette graine avait germé, ses racines s’étendant jusqu’à la capitale impériale.
Ce triomphe alluma en Mero une ambition nouvelle, un feu qu’il sentait crépiter sous sa peau. Il imagina une expédition plus vaste – poivres rares des archipels du Sud, clous de girofle des terres orientales, cardamome des vallées cachées – et des comptoirs maritimes pour ancrer son influence au-delà des frontières de l’Empire. Mais il savait ses limites : ses études et ses devoirs à l’école le retenaient ici, des cha?nes invisibles qu’il portait avec une patience calculée. Il déléguerait l’exécution à un gestionnaire de confiance, tout en gardant la décision finale sur les sites d’expansion – une stratégie équilibrée, née d’une intuition qu’il affinait dans le silence de ses nuits.
Pour concrétiser cette vision, Mero chercha un conseiller fiable, un esprit capable de saisir les subtilités du commerce et de la mer. Un après-midi, un serviteur lui amena Florent, un homme au visage soigné et aux vêtements simples mais élégants, ses yeux per?ants scrutant la pièce avec une acuité froide. ? Votre Altesse, je suis Florent, votre conseiller pour le développement commercial, se présenta-t-il, sa voix mesurée comme un calcul précis. J’ai étudié vos projets – je suis à votre service. ? Mero l’invita à s’asseoir près de la table où reposait une carte de l’Empire, ses contours usés par des heures d’étude, et après quelques politesses, la conversation plongea dans les affaires.
? Vos épices triomphent ici, commen?a Florent, mais il y a des routes inexploitées – les c?tes du Sud, les archipels, les terres orientales riches en saveurs rares. Quelle direction privilégiez-vous ? ? Son regard fixa Mero, analysant chaque nuance comme un joueur d’échecs. Pour le tester, Mero désigna la carte accrochée au mur, ses lignes tracées par des cartographes impériaux. ? Regarde, dit-il, sa voix calme mais ferme. Qu’est-ce qui manque ? ?
Florent s’approcha, scrutant les frontières et les ports avec une concentration intense, ses doigts effleurant presque le parchemin jauni. Après un silence tendu, il pointa deux zones. ? L’archipel de Sable-Gris est sous-exploité, malgré ses ressources maritimes, dit-il, sa voix précise comme une lame. Et les montagnes des Ténèbres cachent un potentiel stratégique – minerais rares, routes discrètes. Des comptoirs là-dedans seraient judicieux. ? Mero hocha la tête, impressionné mais insatisfait, une ombre passant dans ses yeux. ? Bien vu, Florent, mais tu as manqué l’?le de Mandarine – un point clé pour mes plans. Merci, tu peux partir. ?
Florent s’inclina, une lueur de respect dans son regard, et quitta la pièce sans un mot de plus, ses pas résonnant doucement sur le parquet ciré. Mero resta seul, fixant la carte, l’?le de Mandarine scintillant dans son esprit comme un phare au loin. Elle n’était pas qu’un lieu commercial ; elle était un lien avec Mandarine, un souvenir vivant de leurs promesses échangées sous les étoiles. Florent avait vu les chiffres et les routes, mais pas l’ame de son projet. Mero savait qu’il lui fallait quelqu’un d’autre – quelqu’un qui comprenait non seulement le commerce, mais aussi les vagues, les hommes, et les serments tissés dans le sel.
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Les jours suivants, Mero se lan?a dans une quête discrète pour trouver ce gestionnaire idéal, écumant les tavernes près de l’école, les quais bruyants où les marchands criaient leurs prix, et les ruelles étroites où les murmures des affaires se mêlaient au cliquetis des pièces. Il cherchait un esprit forgé par la mer, quelqu’un qui saisirait l’audace de son ambition tout en respectant la prudence de ses racines. Il interrogea des contrema?tres aux mains calleuses, des marchands aux regards fuyants, mais aucun ne portait cette étincelle qu’il espérait – jusqu’à ce qu’un soir, dans une taverne enfumée, l’air saturé d’odeurs de poisson frit et de bière aigre, le destin le guida vers un visage familier.
Téo entra, une silhouette simple mais robuste, son bras manquant remplacé par une manche nouée, son regard vif éclairant un visage buriné par les vents marins. C’était un ancien mousse qui avait navigué avec lui sur les routes de Sel, un gar?on aux cheveux ébouriffés par la tempête, devenu homme par la force des choses. ? Mero ? ? dit-il, un sourire incrédule éclairant ses traits, sa voix rauque portant encore l’écho des vagues. ? Par les vents, c’est toi ! ? Mero se leva d’un bond, une chaleur familière l’envahissant comme une marée montante.
Flashback : il revit le pont de l’auberge sur l’?le des pirates, les mousses assis en cercle autour d’un jeu de dés. Le bois usé grin?ait sous leurs pieds, l’air chargé d’une odeur de sel et de rhum bon marché. ? Si tu sais jouer, pourquoi pas, ? avait dit le rouquin aux taches de rousseur, lan?ant les dés sculptés dans l’os. Mero s’était assis parmi eux, misant une pièce de cuivre impériale, un geste modeste pour gagner leur respect. Les dés avaient roulé – 4 et 2, puis 6 et 5, et enfin 3 et 2 – et leurs rires avaient fusé, légers et complices. ? T’es pas comme les autres nobles, ? avait dit le gar?on aux cheveux noirs, et Mero avait répondu avec une promesse : ? Si nous devenons amis, vous n’aurez plus à vous inquiéter pour manger. ? Téo était là, riant avec les autres, une lueur espiègle dans les yeux, et cette nuit avait semé une graine de loyauté que Mero récoltait aujourd’hui.
? Je t’embauche immédiatement, dit Mero, sa voix ferme mais empreinte de joie. Et trouve les autres mousses – ceux du jeu de dés, s’ils sont libres. Je leur ai promis une place, et je tiens parole. ? Téo hocha la tête, une lueur reconnaissante brillant dans son regard unique. ? Compte sur moi, capitaine, ? répondit-il, un clin d’?il complice scellant leur pacte. Il s’éloigna dans la foule enfumée, sa démarche assurée malgré son handicap, une silhouette qui portait encore l’odeur des flots et le poids de leur passé partagé.
Le plan prit forme sous la direction de Téo, un édifice bati pierre par pierre dans des réunions discrètes dans une arrière-salle de la taverne, l’air saturé de tabac et de murmures. Mero voulait des comptoirs maritimes – à l’archipel de Sable-Gris pour capter les épices exotiques et surveiller les routes commerciales, aux montagnes des Ténèbres pour exploiter leurs ressources cachées, et au royaume Grosbill pour s’imposer dans un marché compétitif. Sable-Gris, malgré son isolement, était un tremplin idéal, ses ports rudimentaires prêts à s’éveiller sous des navires chargés de safran et de poivre. Les Ténèbres, difficiles d’accès avec leurs sentiers escarpés, promettaient des minerais rares et des plantes médicinales, une richesse que seule une logistique audacieuse pourrait révéler. Grosbill, plus ouvert mais disputé, exigeait des comptoirs bien placés et des alliances subtiles pour prospérer.
Mero confia ces ambitions à Téo avec une directive claire, une main posée sur son épaule dans la pénombre enfumée. ? Prends ton temps, lui dit-il, l’odeur de bière flottant entre eux. Rien ne presse – seul le succès compte. ? Téo acquies?a, une détermination farouche dans son regard, un écho de cette nuit sur le pont de l’auberge où il avait partagé les dés et les rires avec ses compagnons. ? Je vais chercher les autres mousses, dit-il, sa voix rauque mais assurée. On batira ?a ensemble, comme tu l’as promis. ? Il quitta la table, son pas résonnant sur le plancher usé, et Mero sentit une bouffée de fierté l’envahir – ce n’était pas seulement une entreprise, c’était un serment honoré, un lien forgé dans la camaraderie et les vagues.
Les jours suivants, Téo revint avec des nouvelles, son pas résonnant dans les couloirs de l’école comme un écho de leurs voyages. ? J’ai trouvé les mousses du jeu de dés, dit-il, un sourire dans la voix, l’odeur de sel encore accrochée à ses vêtements. Ils sont prêts – ils se souviennent de toi, capitaine, et ils veulent te rendre cette confiance. ? Mero sentit une chaleur l’envahir, une fierté douce mais profonde. ? Alors qu’ils prennent leur temps, répondit-il, une main sur l’épaule de Téo. On batira ?a bien, ensemble – comme je l’ai promis. ?
Leur plan s’étoffait – Sable-Gris deviendrait un avant-poste pour les épices rares, les Ténèbres un défi à relever pour des trésors cachés, Grosbill une arène pour prouver leur valeur. Chaque comptoir serait une pierre dans l’édifice de son entreprise, une graine plantée dans le vent de Sel, portée par des hommes qu’il avait appris à conna?tre autour d’un jeu de dés. Mero s’assit près de sa fenêtre, la carte étalée devant lui, et murmura à lui-même : ? On ira loin, comme je l’ai promis. ? Le printemps s’éveillait dehors, et avec lui, un empire naissant, bati sur la confiance et les flots.