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Le ski

  Les jours s’écoulent, et Mandarine hante l’esprit de Mero. Il n’arrive plus à se concentrer, son attention s’effrite comme du sable entre ses doigts. Ses professeurs, exaspérés, le rappellent à l’ordre avec insistance : ? Ressaisis-toi, Mero ! ?

  Depuis son départ, chaque journée érode un peu plus sa capacité à rester présent. Elle s’infiltre dans toutes ses pensées, une ombre tenace qui refuse de s’effacer. Chaque coin de la pièce, chaque instant de silence porte la marque de son absence. Il essaie pourtant de s’accrocher à ses études, aux cours qui défilent, mais tout lui glisse des mains. Son esprit s’évade, prisonnier d’une réalité parallèle où Mandarine est encore là, riant avec lui sous les étoiles du port de Sel. Mais ce rêve fragile se brise dès qu’il ouvre les yeux : elle est loin, de l’autre c?té de la mer, et lui reste seul, perdu dans un océan de pensées.

  Les professeurs, bienveillants mais fermes, ne le laissent pas s’enfoncer sans réagir. Leurs regards se durcissent, leurs mots deviennent plus tranchants. ? Tu dois te reprendre, Mero, lui lancent-ils un jour dans la grande salle d’étude. Ta réussite dépend de toi, pas de tes rêveries. ? Ils ignorent, bien s?r, à quel point elle est devenue une part de lui. Ce n’est pas une simple distraction qu’il pourrait chasser d’un revers de main. C’est une tempête intérieure, un mélange d’amour et de manque qui le dévore.

  Mero lutte pour se ressaisir. Il s’assoit, crayon en main, tente d’écouter les le?ons sur l’histoire impériale ou les calculs maritimes, mais son esprit s’égare dès que le nom de Mandarine résonne dans sa tête. Un frisson le parcourt alors. Que fait-elle là-bas, au-delà des vagues ? Est-elle en sécurité, entourée des siens ? Pense-t-elle à lui autant qu’il pense à elle ? Ces questions le rongent, le laissant nerveux, agité, incapable de trouver la paix.

  Ce qui le trouble encore plus, c’est la frustration qui grandit en lui. Leur temps ensemble a été trop bref, trop précipité. Ils ont partagé des instants précieux – des rires sur les quais, des regards volés sous la lune – mais il n’a jamais pu lui dire tout ce qu’il portait au fond de lui. Il aurait voulu plonger dans ses rêves, découvrir ce qui la faisait sourire ou trembler, apprendre tout d’elle. Mais son départ, dicté par ses devoirs de princesse pirate, a tout emporté comme une vague soudaine.

  Un jour, alors qu’il est plongé dans une lecture interminable, un professeur l’interrompt d’un ton sec. ? Mero, explique-moi ce passage sur la guerre des Archipels. ? Silence. Il n’est pas là, pas vraiment. Ses yeux fixent le livre, mais son c?ur est ailleurs. Le professeur attend, les bras croisés, et Mero doit se forcer à revenir au présent, à chercher une réponse cohérente. ? Désolé, marmonne-t-il, les joues br?lantes, en baissant les yeux. Je… je pensais à autre chose. ? La honte le submerge. Comment a-t-il pu se laisser aller ainsi devant tout le monde ?

  C’est là qu’il comprend : il doit agir. Son obsession pour Mandarine, aussi puissante soit-elle, ne peut pas le détruire. Il refuse de laisser cet amour, aussi réel qu’il soit, ruiner son avenir à l’école impériale. Il ne s’agit pas de l’oublier – il en est incapable – mais de trouver un moyen de vivre avec ce vide. Il décide de se battre, de reprendre le contr?le.

  Il se lance dans une guerre silencieuse contre lui-même. Chaque heure de cours devient un défi : rester attentif, ne pas laisser son esprit dériver vers elle. Chaque page lue, chaque note griffonnée est une petite victoire. Ce n’est pas facile – son c?ur proteste, son imagination s’échappe – mais peu à peu, il retrouve un semblant de rythme. La douleur de son absence ne s’efface pas, elle reste là, tapie comme une vieille blessure, mais elle devient plus légère, un fil discret qui le relie à Mandarine sans le noyer. Peut-être qu’un jour, il la reverra. Peut-être qu’alors, il pourra enfin lui ouvrir son c?ur.

  Sven et Dorian, ses amis les plus proches, ne peuvent ignorer la torpeur qui englue Mero. Ils échangent des regards complices un soir après les cours et décident qu’il est temps d’agir. ? On t’emmène skier dans les montagnes, annonce Dorian avec un sourire en coin. T’as besoin de bouger, de te vider la tête. ? Sven hoche la tête, ajoutant calmement : ? ?a te fera du bien. ?

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  Mero n’a jamais mis un pied sur des skis. L’idée lui semble étrange, presque absurde. Des montagnes glaciales pour chasser sa mélancolie ? Pourtant, il voit dans leurs yeux une détermination sincère, un désir de le sortir de ce brouillard où il s’enfonce depuis le départ de Mandarine. ? D’accord, soupire-t-il, plus pour leur faire plaisir que par envie. Mais je vous préviens, je vais être nul. ?

  Le trajet en fiacre jusqu’aux sommets enneigés est long, mais l’air frais qui s’infiltre par la fenêtre réveille ses sens engourdis. Il regarde défiler les paysages : des arbres drapés de neige, des pentes scintillantes sous un ciel clair. C’est beau, presque irréel, et pour la première fois depuis des jours, il sent une petite étincelle s’allumer en lui.

  Arrivés au chalet, l’odeur du feu de bois et le sifflement du vent dans les cimes le frappent de plein fouet. Tout ici est différent – brut, vivant. Sven et Dorian, à l’aise comme s’ils étaient nés sur des skis, l’équipent avec soin, riant doucement de sa maladresse. ? Tiens-toi droit, lui lance Dorian en lui tendant une paire de batons. Et si tu tombes, rigole un coup, ?a aide. ?

  Les premières descentes sont un désastre. Ses jambes refusent de coopérer, ses skis partent dans tous les sens, et il finit plus souvent dans la neige que debout. Sven et Dorian éclatent de rire à chaque chute, mais leurs encouragements sont chaleureux. ? T’y arriveras, Mero ! crie Sven depuis le bas de la pente. Lève les yeux, pas les pieds ! ? Peu à peu, il trouve son équilibre. La tension dans ses muscles le force à se concentrer sur l’instant, chassant les pensées qui le hantaient.

  Puis vient le moment où il se tient au sommet d’une pente raide. Le vent glacial lui mord le visage. Sven et Dorian l’appellent, confiants. Il hésite, le c?ur battant, puis se lance. La vitesse le saisit, le monde devient un flou blanc, et pour un bref instant, il est libre. Plus de Mandarine, plus de regrets – juste lui, la montagne, et l’adrénaline qui pulse dans ses veines.

  à la fin de la journée, épuisé mais satisfait, il s’effondre près du feu dans le chalet. Une soupe chaude réchauffe ses mains, et les viandes grillées emplissent l’air d’une odeur réconfortante. Sven et Dorian racontent des histoires de leurs royaumes – Sven fredonnant même une vieille chanson de son ?le, à la surprise générale. Mero écoute, un sourire aux lèvres, et sent que quelque chose a bougé en lui. La douleur est toujours là, mais elle ne le paralyse plus. Ces moments simples avec ses amis lui rappellent que la vie continue, et qu’il n’a pas à porter son fardeau seul.

  Alors qu’ils rentrent à l’auberge sous un ciel étoilé, Mero s’arrête et se tourne vers Sven et Dorian. ? Merci, lache-t-il, la voix sincère. J’en avais vraiment besoin. ?

  Dorian hausse les épaules, un sourire en coin. ? C’est rien, vieux. Les amis, c’est fait pour ?a, non ? ? Sven, plus calme, ajoute : ? T’étais comme un bateau à la dérive. Fallait bien te ramener au port. ? Mero rit doucement – ils ont raison.

  Le lendemain, ils repartent sur les pistes. Cette fois, Mero glisse avec plus d’assurance, esquivant presque toutes les chutes. Dorian, joueur, propose une course sur une pente technique. ? Allez, Mero, montre-nous ce que t’as dans le ventre ! ? lance-t-il. La descente est rapide, pleine de virages serrés, et quand Dorian tente un dépassement audacieux, il finit la tête dans la poudreuse. ? T’es trop fort maintenant ! ? plaisante-t-il en se relevant, hilare, couvert de neige.

  L’après-midi, alors que le soleil décline, Mero a une idée. ? Ce soir, je veux vous faire go?ter quelque chose de spécial, annonce-t-il, les yeux pétillants. Pas vraiment de chez moi, mais un truc que j’ai découvert ici. ? Intrigués, Sven et Dorian le suivent jusqu’à une auberge rustique où il commande une raclette.

  Quand la meule de fromage fondant arrive avec ses pommes de terre et ses charcuteries, Sven fronce les sourcils. ? Et on fait quoi avec ?a ? ? demande-t-il, perplexe. Mero leur montre comment racler le fromage, le mélanger aux accompagnements. Dorian go?te le premier et s’exclame : ? Par les vents, c’est génial ! ? Sven, plus posé, hoche la tête après une bouchée. ? C’est… bon. Chaud et réconfortant. ?

  Ils passent la soirée à rire, à savourer le repas et à boire du vin chaud. Entre deux gorgées, Dorian lève son verre. ? T’es pas seul, Mero. Quoi qu’il arrive, on est là. ? Sven acquiesce, sérieux. ? L’amitié, c’est tenir bon ensemble. ?

  Pour la première fois depuis des semaines, Mero sent une chaleur familière l’envahir. Mandarine lui manque toujours, mais avec Sven et Dorian à ses c?tés, il sait qu’il peut avancer.

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